[E.dossier] spécial « Vue »

La Mutualité Française Pays de la Loire et Ouest France se sont associés pour élaborer un dossier spécial consacré à la santé en Pays de la Loire. Parmi les différents thèmes abordés, celui notamment de la santé visuelle.

Vision : "Angers. Basse vision : un centre pour réapprivoiser le quotidien"

Fernand Rath en séance d’ophtalmologie

Complémentaires du travail mené en libéral, les professionnels du Centre régional de basse vision accueillent les patients qui « ne peuvent plus faire comme avant » et leur livrent conseils et adaptations pour oublier leur handicap.

Odile est installée derrière un ordinateur, son sac tout près d’elle. Ses mains balaient le clavier au rythme des paroles de l’ergothérapeute. « Chaque touche F a une action précise. Pour fermer le logiciel, vous devez appuyer sur Alt et F4 », explique-t-elle. Odile est non-voyante, c’est ce qui l’amène au Centre régional de basse vision, à Angers, plusieurs fois par semaine. Ce mardi, en séance d’AVJ, pour autonomie de la vie journalière, elle a choisi de travailler l’informatique. « J’aimerais avoir accès à la presse, à la météo, au programme télé ou à des recettes de cuisine », souligne celle qui voudrait aussi envoyer des mails à ses enfants. En totale autonomie. Faute de pouvoir compter sur la vue, cette cinquantenaire mobilise ses autres sens : le toucher ou l’ouïe… «  Vous entendez l’unité centrale qui fait un peu de bruit ? C’est qu’elle s’arrête  », renseigne l’ergothérapeute.

Neuf heures de rendez-vous analytique
Les usagers, préférés à patients, poussent la porte du CRBV, un soin de suite et de réadaptation, lorsqu’une pathologie, évolutive, trouble le fonctionnement de leur vie quotidienne. Des gestes simples, comme mettre du dentifrice sur leur brosse à dents, éplucher une pomme, tricoter, lire, lancer le lave-vaisselle ou pousser la porte de la boulangerie, sont mis à mal par une dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), une rétinite pigmentaire, une tumeur. « On travaille sur le côté fonctionnel en évaluant les conséquences des déficits et de l’incapacité  », résume le docteur Le Gouvello, ophtalmologiste au centre.

La structure est pluridisciplinaire. Chaque usager est d’abord évalué par huit professionnels avant de commencer sa réadaptation, personnalisée. Ils rencontrent un ophtalmologiste, un orthoptiste, des éducateurs en gestes du quotidien, et locomotion, avant de s’entretenir avec une psychologue et une assistante sociale. «  La déficience peut jouer sur le moral  », indique le docteur Le Gouvello. Au total, ces neuf heures de rendez-vous, dit analytique, peuvent s’étaler sur près de deux mois. Quand la durée de la rééducation elle, est variable. «  Tant qu’un geste n’est pas naturel et demande un effort, l’usager revient  », précise la docteure Saout, médecin de rééducation fonctionnelle.

«  Être plus indépendant  »
Eric, 53 ans, malvoyant en est à sa quatorzième séance d’orthoptie. Ici, Madame Husson-Barrault tente de lui donner les outils nécessaires pour qu’il utilise au mieux ses capacités visuelles. « Ça prend du temps, mais on avance », reconnaît-il. Au Centre, « il apprend à être plus indépendant ». Et grâce à des outils comme le télé-agrandisseur ou la loupe électronique, qu’il a toujours dans son sac, il a pu retrouver le plaisir de la lecture.

Ce jour-là, la spécialiste lui projette des mots très courts, en mouvement, sur un fond contrasté pour coller au plus près de la réalité. Objectif : «  faire travailler le mouvement des yeux pour améliorer l’utilisation de sa vision lorsqu’il regarde de loin et la rendre plus performante  », détaille l’orthoptiste.

Dans ses déplacements, Eric peut s’aider de sa canne blanche qui le protège des obstacles et lui livre les informations au sol. À quelques mètres de là, dans la salle informatique, Odile cherche des astuces pour se faciliter la vie : «  Peut-être que je pourrais ajouter une gommette ou une pastille pour m’aider à identifier telle ou telle touche ?  » Des trucs simples, finalement.

Emilie WEYNANTS
© Ouest France

Vision : "Santé. Cinq "commandements" orthoptiques pour préserver sa vue"

Les yeux qui piquent ou brûlent, les migraines, la fatigue… Au quotidien, une mauvaise « utilisation » de ses yeux peut être à l’origine de bien des maux. Une orthoptiste angevine explique pourquoi et comment il faut prendre soin de ses yeux, à tout âge.

L’orthoptiste, c’est le spécialiste de la rééducation de la vision fonctionnelle, autrement dit, celui qui livre des pistes pour utiliser au mieux son regard, au quotidien. « Mes patients ont de 3 mois à 100 ans », souligne Marie-Annick Thozet, orthoptiste à Avrillé, dans le Maine-et-Loire. Si elle peut intervenir après des pathologies lourdes, type tumeur ou accidents cardio-vasculaires, des problèmes de basse vision ou de vision double, chez l’adulte, comme chez l’enfant, de simples maux de tête ou une fatigue visuelle peuvent amener à pousser la porte de cette spécialiste.

« Des ostéopathes peuvent nous envoyer des patients qui ont des douleurs cervicales », illustre-t-elle. Si la rééducation est multiple, personnalisée et uniquement sur prescription médicale, des conseils simples peuvent éviter le pire. Marie-Annick Thozet nous livre ici cinq commandements orthoptiques :

Face à l’écran tu t’installeras
« Il faut toujours être bien installé en face de son écran. Le regard ne doit jamais être de côté. Pour bien faire, le haut de l’écran doit être au niveau des yeux et l’ordinateur doit être à distance de bras. Si celui-ci est trop loin, ou trop près, nous ne mettons pas les mêmes stratégies visuelles en place. Trop près, l’accommodation qui se fait au niveau du cristallin, est trop sollicitée, comme la convergence oculaire. Tel un appareil photo, nos yeux doivent effectuer une mise au point lorsqu’ils fixent quelque chose. Si nous les sollicitons trop, ceux-ci se fatiguent. Idem si l’écran est trop loin, l’image va être de moins bonne qualité, et la perception ne sera pas facile à tenir. »

La lumière tu soigneras
« Lorsque nous nous installons devant un ordinateur, la lumière doit toujours venir perpendiculairement à l’écran. Cela permet d’éviter les reflets, si elle vient de derrière ; et les contre-jours, si elle vient de devant. Dans ce dernier cas, cela oblige la pupille à s’adapter sans cesse à la situation par des mouvements répétitifs. »

« Au poste de travail, il est conseillé d’ajouter une lampe de bureau, installée sur le côté. Attention, celle-ci doit être basse et éclairer le clavier ou des documents installés devant soi. Objectif : avoir une unité de lumière, car passer d’une zone lumineuse à une autre fatigue l’œil. Il faut aussi penser à régler la luminosité de son écran d’ordinateur. Il n’y a pas de règle, l’intensité est fonction de chacun. »

En voiture, droit devant toi tu regarderas
« Il faut là encore veiller à être bien installé. La position est essentielle lorsqu’on se lance pour plusieurs heures de route, car il faut avoir le regard droit devant. »

L’éclairage tu privilégieras !
« Les gens ont tendance à penser que lorsqu’on ne voit plus, il faut se munir de lunettes. Ce n’est pas toujours suffisant. Un bon éclairage peut parfois résoudre le problème. À 40 ans, nous avons besoin de deux fois plus de luminosité qu’à 20 ans, à 60 ans, deux fois plus qu’à 40 ans, et à 80 ans, deux fois plus qu’à 60 ans ! L’éclairage doit être très localisé et installé à différents endroits selon nos activités. Quelqu’un qui lit peut installer une lampe réglable capable de venir à dix centimètres du document. »

« D’ailleurs, les lampes de chevet aux abat-jour classiques ne sont pas celles qui vont nous aider pour la lecture. Les lampes de bureau, ajustées et mobiles, sont les plus conseillées. Attention aussi aux liseuses, à clipser sur un livre, bien pour le camping mais peu suffisantes pour une lecture longue. Il faut enfin veiller à ce que la lumière n’arrive pas directement dans les yeux. Un éblouissement entraîne de la fatigue. De la luminosité, c’est bien, mais lorsqu’elle est localisée. »

Les activités tu varieras
« Le regard ne doit pas rester figé sur son écran d’ordinateur. Il est important de lever les yeux, très régulièrement, et de les amener à l’infini, en regardant par une fenêtre, le ciel, les arbres, un oiseau volé… Idéalement, il faut se lever et marcher. Quelqu’un qui passe 40 ans, sept heures par jour, pendant toute une semaine sur un écran d’ordinateur connaîtra plus de fatigue que quelqu’un qui a varié les activités et qui n’a pas toujours posé son regard au même endroit. Ce qui est compliqué ici, c’est la répétition. S’il n’est pas directement responsable de pathologie, l’écran est un révélateur. »

Et s’il vous faut absolument passer par des lunettes, ces conseils avant de les choisir :

Emilie Weynants
© Ouest France

Vision / Audition : "Il ne faut pas avoir peur de se faire dépister"

Gilles Berrut insiste sur l’importance du dépistage pour les problèmes de vue et d’audition, et ce également chez les personnes atteintes de troubles de la mémoire.

Le spécialiste Gilles Berrut estime que l’accumulation de problèmes de vue ou d’audition aggrave le déclin cognitif des personnes âgées. Il préconise donc de se faire dépister dès que possible, notamment pour certaines pathologies.

Entretien. Gilles Berrut, professeur de médecine interne gériatrique, président du Gérontopôle des Pays de la Loire, chef du pôle hospitalo-universitaire de gérontologie clinique du CHU de Nantes.

Quels sont les troubles visuels fréquents apparaissant avec l’âge ?
On peut citer la cataracte et la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA). Cette dernière empêche la vision centrale, on ne voit alors qu’avec sa vision périphérique. En gros, si vous voulez voir ce qu’il y a au centre, vous devrez regarder à côté. Le souci, c’est qu’on ne se rend pas compte de ce trouble. C’est pourquoi nous avons créé une unité d’ophtalmo-gériatrie à l’hôpital Bellier avec le Pr Weber.

Comment le soigner, alors ?
Il faut s’en préoccuper à partir de 70 ans et aller au minimum tous les deux ans chez l’ophtalmologue. Tous les ans, c’est encore mieux ! Un dépistage est alors pratiqué et si la DMLA est détectée, on injecte un médicament anti-angiogéniques. Ce traitement permet à la maladie de ne pas s’étendre. Il est très important aussi de traiter ça chez les personnes atteintes de troubles de la mémoire. On s’est rendu compte que les troubles de la vue (et de l’audition) de ces dernières étaient mal pris en compte. Or, avoir des problèmes de mémoire et des soucis de vue aggrave le déclin cognitif.

Est-ce la même chose pour les problèmes d’audition ?
Oui, le problème principal est celui de la presbyacousie. Les personnes entendent bien lors d’une conversation classique dans le calme, mais s’il y a derrière un bruit de fond (télé ou autre personne qui parle), tout se brouille. Il est alors possible de s’équiper d’une audioprothèse. Bien sûr, il faut s’y habituer et ce n’est pas toujours facile, car l’appareil auditif est moins admis dans la société que des lunettes par exemple, mais je conseille tout de même de ne pas le faire trop tard, autour des 65-75 ans. L’important est de ne pas être dans le déni sur cette question-là.

S’occuper de sa vue et de son audition, c’est aussi un moyen de prévenir d’autres maladies ?
Il est certain que lorsqu’on n’entend plus, ou moins, on crée un isolement qui est très mauvais pour le cerveau. Il est important de « se forcer » à parler avec les autres, même si parfois on doit faire répéter. Un conseil pour les proches de personnes ayant des problèmes d’audition : parler en face en articulant, sans parler fort ni déformer son visage. Dans certains cas, le chuchotement à l’oreille est aussi parfois efficace.

Dans tous les cas, vous préconisez le(s) dépistages…
Oui, il ne faut pas avoir peur de se faire dépister. Dire ce qui ne va pas à votre médecin, il ne peut pas le deviner. Sachez vous plaindre, en résumé ! Et dites-vous que quel que soit l’âge, on peut faire quelque chose. Si votre médecin vous dit le contraire, n’hésitez pas à prendre un deuxième avis !

Claire Baudiffier
© Ouest France

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