Marie-Claire Thareau est ingénieur agronome, nutritionniste spécialisée dans l’éducation au goût et sophrologue. Elle est également co-fondatrice de « Pommes et Sens », une association qui mise sur l’éveil du goût pour retrouver une alimentation santé.
En résumé
Nous sommes aujourd’hui de plus en plus éloignés de l’origine des aliments, de l’agriculture. C’est cette distance avec l’aliment qui a, entre autres, favorisé le recours aux compléments alimentaires, sans odeur ni goût. Il faut donc retrouver les repères alimentaires et favoriser l’apprentissage sensoriel de l’alimentation dès le plus jeune âge (toucher, sentir, voir, goûter les aliments). Une règle à retenir : les aliments restent nos meilleurs alliés pour nous offrir tous les nutriments dont notre organisme a besoin.
Comment expliquer l'engouement pour les compléments alimentaires ?
Marie-Claire Thareau : Notre société s’est de plus en plus éloignée de l’origine des aliments, de la terre, de l’agriculture. Auparavant nous étions proches des aliments soit parce qu’on les cultivait soi-même soit parce que nous avions, dans notre entourage proche, une famille d’agriculteurs ou des grands-parents à la campagne. Cette distance avec l’aliment a engendré une génération d’enfants, mais aussi d’adultes, qui méconnaissent les aliments, leur diversité et qui ont des difficultés à aller à la rencontre d’aliments moins standardisés, aux odeurs plus marquées ou à l’apparence ingrate.
J’en veux pour preuve les néophobies alimentaires graves de plus en plus fréquentes aujourd’hui, plus particulièrement chez les enfants entre 18 mois et 12 ans. Il s’agit de la peur et du refus de manger des aliments nouveaux, et qui conduit à n’accepter que les denrées alimentaires aux saveurs peu marquées, sans odeur ou sucrées. Pour ces enfants, le pas à franchir pour s’approprier l’aliment différent nécessite beaucoup d’efforts. Face à cette difficulté, les parents inquiets complètent l’alimentation carencée de leurs enfants avec des compléments alimentaires. Malheureusement, ils contribuent ainsi à creuser encore plus la distance que leur enfant prend avec les aliments. On retrouve ces mêmes réflexes chez les adultes. Il n’est pas rare qu’un patient à qui je propose de diversifier son alimentation me dise « Vous ne me ferez pas manger ça ! ».
Et pourtant ces repères par rapport à l’alimentation sont cruciaux pour bien manger ?
MCT : Oui, car on ne le dit peut-être pas assez aux parents, mais manger ça s’apprend. C’est un apprentissage à part entière. Naturellement le tout-petit n’aime que le sucré et le liquide. Si on ne lui apprend pas à découvrir et à se familiariser progressivement avec d’autres saveurs, d’autres goûts et d’autres odeurs, on handicape son enfant. On le prive de cette expérience qui l’aidera à identifier les différents aliments et à construire ses propres repères alimentaires.
Il s’agit pourtant là de principes fondateurs et cruciaux pour son développement vers l’âge adulte. Et à ce titre, les compléments alimentaires sans goût, sans forme, sans lien avec l’aliment, sont à l’opposé de la découverte alimentaire. Or l’éveil des sens est essentiel dans l’apprentissage alimentaire. J’emploie souvent le terme d’alimentation sensorielle : toucher, sentir, voir et enfin goûter des aliments simples et peu modifiés contribuent non seulement à se créer des repères alimentaires (on apprend à connaître les aliments, notre organisme se dote des capacités à réguler ce dont il a besoin en fonction des aliments consommés) mais aussi à éprouver du plaisir à manger. On est là très loin de l’alimentation « clinique » qui consiste à manger pour se nourrir. Sans l’aspect plaisir, manger n’a plus de sens. On mange aussi pour le bien-être que l’état de satiété procure, la convivialité d’être avec les autres, le plaisir des odeurs, de la texture en bouche… C’est aussi cela l’apprentissage alimentaire et dès le plus jeune âge.
Est-ce la bonne solution que de se tourner vers les compléments alimentaires pour s’assurer d’un bon apport en nutriments ?
MCT : Les nutriments que l’on recherche en achetant des compléments alimentaires se trouvent dans notre assiette, pour peu que l’on ait une alimentation régulière, variée et diversifiée. L’organisme humain a naturellement les prédispositions pour aller chercher dans les aliments les nutriments dont il a besoin pour bien fonctionner et les quantités dont il a besoin au regard des points forts et des points faibles propres à chaque individu. Il faut faire confiance à notre potentiel génétique.
Si je conçois que les compléments alimentaires peuvent être une aide ponctuelle dans des situations bien particulières, l’alimentation équilibrée reste la meilleure garantie tant du point de vue de la sécurité que de la qualité des nutriments. En effet, les nutriments fournis par les aliments ne sont pas présents de la même manière dans l’organisme que ceux assimilés par le biais de compléments alimentaires. Il y a ainsi peu de risque d’être exposé à un excès en vitamine A si on mange beaucoup d’abricots ou de carottes. Dans le pire des cas, on aura un teint un peu orangé. Il y a en revanche un réel risque toxicologique si l’on prend trop de compléments alimentaires contenant de la vitamine A.
Il convient aussi de s’interroger sur la différence de qualité entre des nutriments puisés directement par notre organisme à partir des aliments et des nutriments proposés dans les compléments alimentaires. Prenons pour exemple le cas des Oméga 3. Pour les obtenir de manière naturelle, on sait qu’il faut consommer régulièrement des poissons gras comme les sardines ou les maquereaux. Mais qu’en est-il de la qualité des Omega 3 fournis par les compléments alimentaires ? Pour être extraits des maquereaux, les nutriments auront été déstructurés, peut-être même chauffés. Ces différents procédés de fabrication détériorent les nutriments. On peut faire le parallèle avec les acides gras présents dans les oléagineux. On peut être sûr de la qualité des acides gras que l’on aura pu absorber en consommant directement des noix. En revanche les acides gras présents dans l’huile de noix pourront être de moins bonne qualité car l’huile aura pu être chauffée pour être extraite des noix ou parce que l’odeur aura pu être camouflée avec des procédés de désodorisation néfastes.
Comment tirer pleinement profit de son alimentation ?
MCT : Il faut tout d’abord favoriser les aliments simples. C’est à dire éviter de mélanger trop d’aliments différents dans un même plat ou d’avoir recours à trop d’aliments transformés, issus notamment de l’industrie agro-alimentaire. Cela enrichira les repères alimentaires du jeune enfant et sera également plus facile à assimiler par l’organisme au quotidien, notamment pour les estomacs ou les intestins fragiles. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne peut pas les cuisiner, bien au contraire, cela contribue au plaisir de manger. Il faut ensuite respecter la saisonnalité des aliments. On sait que les nutriments seront au maximum de leur potentiel avec des fruits et légumes de saison, idéalement mûris sur place. On peut aussi rappeler les principes élémentaires consistant à manger équilibré, varié et régulièrement (3 repas et une collation par jour). Couplées à une activité physique et en dehors de situations ponctuelles bien spécifiques, de telles habitudes alimentaires prises dès le plus jeune âge permettent de se passer de compléments alimentaires.
Propos recueillis par Annie Lebrun-Legall
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