Jean-Marie BARD est professeur de biochimie à la Faculté des Sciences Pharmaceutiques et Biologiques de Nantes. Il est également praticien hospitalier à l’Institut de Cancérologie de l’Ouest.
En résumé
Les compléments alimentaires commercialisés au sein de l’Union européenne sont régis depuis 2002 par une directive européenne qui a été transposée en droit français en mars 2006. Sont ainsi réglementées la composition des compléments alimentaires (plus particulièrement pour ceux à base de vitamines et minéraux) et leur commercialisation (procédure de mise sur le marché, étiquetage, messages de santé dont ils peuvent se prévaloir). Relativement récente et amenée à évoluer, cette législation n’est pas parfaite mais permet de poser des premiers garde-fous indispensables.
Que « cache » l’appellation Compléments alimentaires ?
Jean-Marie Bard : Il est vrai que le terme même de « compléments alimentaires » peut prêter à confusion pour le public non averti. Si l’on comprend bien qu’il s’agit de produits contenant des substances pour compléter notre alimentation (c’est-à-dire à visée nutritionnelle), l’appellation n’induit pas qu’il s’agit aussi de produits pouvant contenir des substances pour agir sur le fonctionnement de l’organisme (c’est-à-dire à visée fonctionnelle ou physiologique).
Une définition légale des compléments alimentaires permet de préciser cela. Elle émane d’une règlementation européenne qui régit depuis 2002 les compléments alimentaires commercialisés dans les pays de l’Union européenne. Cette directive a été transposée en droit français en mars 2006. Les compléments alimentaires y sont définis comme « des denrées alimentaires dont le but est de compléter un régime alimentaire normal et qui constituent une source concentrée de nutriments ou d’autres substances ayant un effet nutritionnel ou physiologique ».
Ce positionnement a le mérite d’être posé mais il ne lève pas les possibles confusions avec d’autres catégories de produits qui peuvent sembler proches des compléments alimentaires de par leur composition mais qui n’en sont pas. C’est notamment le cas des suppléments nutritionnels qui contiennent certes des nutriments mais qui sont prescrits pour des malades ne pouvant s’alimenter correctement. La confusion peut également exister avec des médicaments vendus sans ordonnance et qui contiennent eux-aussi des substances nutritionnelles, mais dont la concentration dépasse celle autorisée pour des compléments alimentaires et qui figurent, à ce titre, au rang des médicaments.
Les compléments alimentaires ne sont pas soumis à une autorisation de mise sur le marché comme les médicaments, quelles garanties peut-on alors avoir sur leur conformité et leur sécurité ?
JMB : La réglementation européenne applicable aux compléments alimentaires est un premier garde-fou. Elle a établi un certain nombre de règles sur la composition et la commercialisation des compléments alimentaires à respecter par les fabricants. Il existe ainsi une liste des vitamines et minéraux autorisés pour la fabrication des compléments alimentaires ainsi que le dosage à ne pas dépasser. En ce qui concerne les plantes, seules celles à visée non thérapeutique (c’est-à-dire n’ayant pas vocation à guérir) peuvent être utilisées. Dans la pratique, on peut retrouver cependant des compléments alimentaires composés de plantes ayant de réelles propriétés thérapeutiques.
Face à ce flou juridique, la Commission européenne et les autorités françaises travaillent actuellement au projet d’un arrêté déterminant clairement une liste de plantes pouvant être incorporées dans les denrées alimentaires. Quant à la commercialisation des compléments alimentaires, elle fait l’objet d’une procédure à effectuer par les fabricants auprès de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Cela va de la simple déclaration au moment de la mise sur le marché lorsque le produit est conforme à la réglementation française, à la déclaration deux mois avant la mise sur le marché quand le produit utilise des composés non encore utilisés en France mais déjà autorisés et commercialisés dans l’un des Etats membres, jusqu’à la demande d’autorisation lorsque le produit comporte des substances qui ne sont utilisées ni en France ni dans l’Union européenne.
Quel étiquetage approprié doit-on trouver sur un complément alimentaire ?
JMB : Là encore, la réglementation impose des critères à respecter. Tout emballage de complément alimentaire conforme doit faire apparaître le terme « complément alimentaire », le nom des familles de nutriments utilisées, la liste complète des ingrédients indiqués par ordre décroissant en quantité, la dose journalière recommandée, les quantités nutritionnelles que représente la prise d’une dose journalière exprimées en pourcentage de l’apport journalier recommandé (AJR). Doivent également y figurer les avertissements à ne pas dépasser cette dose, à ne pas substituer ce complément à une alimentation variée, et à le tenir hors de portée des enfants.
On peut aussi trouver sur les emballages des affirmations vantant certains effets sur la santé. Qu’en penser ?
JMB : Vous parlez là des allégations de santé. Ce sont des messages écrits ou visuels qui font allusion à des propriétés particulières du produit sur la santé. Les règles en matière d’allégation santé pour les compléments alimentaires sont les mêmes que celles applicables aux aliments. Elles sont de nouveau régies par la réglementation européenne qui définit très précisément les catégories d’allégations autorisées. Le but est de garantir que toute allégation soit claire et prouvée scientifiquement. C’est le cas des allégations de santé fonctionnelles (comme « bon pour la transit », « bon pour la fabrication de l’os »…) dont la liste exhaustive autorisée a été publiée au journal officiel européen en mai 2012.
Sont également concernées les allégations nutritionnelles (« riche en calcium », « riche en vitamine C »…) et les allégations de santé qui revendiquent un effet de réduction de facteur de risque associé à une maladie (« réduit le cholestérol » est la seule allégation figurant dans cette catégorie aujourd’hui). En dehors de ces trois cas de figure, un fabricant peut faire étudier une allégation spécifique nouvelle qu’il souhaiterait utiliser en déposant une demande auprès de l’autorité européenne de sécurité des aliments (l’EFSA) qui donnera ou non un avis favorable au regard des résultats scientifiques fournis par le fabricant. On peut dès lors pousser la réflexion plus loin et se méfier à l’avenir des compléments alimentaires qui ne revendiqueront rien sur leurs emballages. Cela pourrait laisser à penser que les fabricants n’ont pas les preuves scientifiques nécessaires pour avancer une quelconque propriété de leur produit.
Les réglementations européenne et française sont-elles suffisantes pour sécuriser le consommateur ?
JMB : Cette réglementation est relativement récente et c’est un premier garde-fou qui a le mérite d’exister. Certes, elle est perfectible mais il s’agit d’une avancée certaine quand on sait que rien n’existait en France avant 2006. Nous disposons également en France, depuis 2009, d’un dispositif de nutrivigilance, l’équivalent de la pharmacovigilance pour les médicaments mais dédié aux nouveaux aliments, aux aliments et boissons enrichis, aux denrées destinées à une alimentation particulière et aux compléments alimentaires. Les professionnels de santé peuvent ainsi alerter l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (l’ANSES) sur des effets indésirables remarqués sur leurs patients ou clients et qu’ils pourraient relier à la prise d’un complément alimentaire. Ces remontées peuvent permettre aux pouvoirs publics de diffuser des messages d’alertes voire même d’aller jusqu’au retrait du produit. La meilleure garantie reste bien entendu d’être vigilant et de demander conseil à un professionnel de santé ayant des connaissances sur les compléments alimentaires si l’on envisage d’en consommer.
Propos recueillis par Annie-Lebrun-Legall
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