Voilà le quotidien des dockers et agents portuaires du grand port maritime de Nantes/Saint Nazaire. Avec, à la clef, un triste constat : depuis 1992, sur les 362 dockers que comptait le port, 99 ont été atteints de maladies graves, cancers et problèmes cardiaques en tête. 46 en sont morts, dont une vingtaine avant leur 60 ans.
©Jean-Claude Marceteau
Les dockers se mobilisent
Ces données alarmantes ont été recueillies par l’association pour la protection de la santé au travail dans les métiers portuaires de Loire-Atlantique (APPSTMP44). Fondée par un collectif de dockers et d’agents du port, l’association se mobilise depuis 2010 pour que soit reconnu le lien entre les problèmes de santé des dockers et leurs conditions de travail et que des mesures de protection soient mises en place.
©Laurent Guizard pour Basta !
Produire des connaissances scientifiques
Depuis l’automne 2012, c’est précisément ce à quoi s’attelle le programme de recherche-action baptisé Escales. Réunissant une équipe de sociologues, médecins du travail et spécialistes de plusieurs organismes partenaires, le projet Escales vise à passer du constat établi par l’association à une production de connaissances scientifiques sur les risques cancérogènes des métiers portuaires.
« Nous nous inscrivons dans une démarche de santé publique, avec le double objectif d’améliorer la prise en charge des atteintes à la santé d’origine professionnelle et d’impulser des actions de prévention » rappelle Véronique Daubas-Letourneux, sociologue et membre du collectif constitué autour du projet Escales.
©Jean-Claude Marceteau
La parole aux dockers
Et le travail n’est pas simple. Les chercheurs ne peuvent s’appuyer sur aucun document faisant cas de la traçabilité des expositions des salariés du port aux produits cancérogènes, en dépit d’obligations juridiques existantes. Le projet repose donc sur une enquête sociologique visant à retracer l’activité réelle du travail d’une quarantaine de dockers du port atteints de cancers.
Au cours d’un entretien individuel mené par le chercheur en sociologie, Christophe Coutanceau, chaque docker retrace toutes les étapes de sa vie professionnelle, en décrivant le plus précisément possible ses conditions de travail, les marchandises chargées ou déchargées, les mesures de protection utilisées, etc… (voir notre diaporama sonore en bas d’article).
©Laurent Guizard pour Basta !
Reconnaissance des maladies professionnelles
Complétée par des recherches permettant d’approfondir la connaissance du contexte portuaire, l’expertise des données recueillies lors de ces entretiens déterminera si les expositions professionnelles subies par chacun des dockers peuvent être reliées à leur cancer et, si oui, de faciliter la reconnaissance de leur maladie professionnelle. Au-delà des cas individuels, le travail permettra de mieux connaître les risques d’expositions professionnelles à des agents cancérigènes dans les métiers portuaires et de mettre en place des actions de prévention.
Une expérience pilote
Les scientifiques se sont donné dix-huit mois pour achever leur travail. Les résultats sont attendus pour le printemps 2014. Et Escales ne s’arrêtera pas en si bon chemin. « Cette action pilote sur le port de Nantes/Saint-Nazaire pourra se prolonger vers d’autres places portuaires en France et en Europe ou encore en direction des filières de production, notamment la filière agricole, de manière à remonter à la source des marchandises chargées et déchargées dans les ports» conclue Véronique Daubas-Letourneux.
1 : se présentant sous forme solide et noire, le coke de pétrole est un sous-produit de raffinage du pétrole
Photos de Jean-Claude Marceteau et de Laurent Guizard prêtées respectivement avec l’aimable autorisation de l’association APPSTM44 et du magazine en ligne Basta !
Annie Lebrun-Le Gall