Chercheur postdoctoral en socio-anthropologie à l’Université de Pau, et animateur du site www.anthropoado.com, Jocelyn Lachance est intervenu lors du colloque professionnel «Prévention et réduction des risques en milieu festif » organisé le 16 octobre 2012 à Angers par la Mutualité Française Pays de la Loire (1). Il nous délivre réflexions et conseils pour mieux comprendre et appréhender les comportements des jeunes en milieu festif.
1. Les jeunes en milieu festif : à quoi sert la fête ?
Elle offre plusieurs opportunités aux jeunes. La fête permet d’abord de marquer un temps de rupture avec le quotidien. C’est une façon d’échapper provisoirement aux contraintes et ambiguïtés que vivent les adolescents. Les adultes les traitent en effet parfois comme des enfants puis comme des adultes, parfois on leur donne des responsabilités, parfois des sanctions. Cette ambiguïté de statut n’est pas facile à vivre au quotidien. La fête et le rythme des fêtes permettent aux jeunes d’échapper à ce quotidien, de respirer, de continuer à avancer par étape dans leur vie d’adolescent.
La fête contribue aussi à la notion d’appartenance au groupe des jeunes. Le temps festif permet de vivre en groupe des expériences émotionnelles très fortes qui produisent des souvenirs partagés et permettent de se sentir liés les uns aux autres. C’est une fonction importante de sociabilité. On peut certes vivre des moments importants avec ses amis au cours de voyages ou lors de moments de confidence. Mais la fête peut aussi permettre ce partage. Et à cette période de questionnements qu’est l’adolescence, le partage avec ses pairs est particulièrement significatif.
2. Les débordements ou transgressions sont inhérents à la fête. Comment l'expliquez-vous ?
On parle de débordements collectifs, ce qui ne veut pas dire que tous les jeunes vont tous aller au-delà de leurs propres limites, mais c’est évident qu’en climat festif il peut y avoir des débordements. La fête est, par définition, un temps de suspension des normes, les règles sont momentanément levées. Cela a toujours été ainsi. Si on regarde dans l’histoire, la fête était un moment où on inversait les rôles, où on échappait à son statut, un moment qui ne correspondait pas à ce que l’on vivait au quotidien. Et donc, quand les règles ou certains interdits sont levés, il peut y avoir des conduites d’excès, c’est inhérent à la fête.
De plus pour les adolescents, se mettre en danger est une façon de trouver de la valorisation. Comme on l’observe dans nos recherches, lorsque des jeunes ne savent pas comment se faire reconnaître par les autres, une solution existe dans la condition humaine : celle de se mettre en danger sous le regard des autres pour prouver qu’on est capable. C’est l’exemple type du jeune qui boira de l’alcool jusqu’à ne plus tenir debout, juste pour prouver aux autres qu’il est en capacité de le faire.
3. Comment rassurer les parents qui pourraient être inquiets ?
Mon premier conseil : s’inquiéter n’est d’aucune utilité. Les comportements de mise en danger des adolescents sont chargés de sens. Quand un adolescent met son corps en danger, il est en train de parler aux adultes, même si on préfèrerait une autre forme de dialogue. Il teste les limites.
En fait, il y a deux façons pour le jeune d’aller chercher les limites : la limite via son corps ou la limite via la parole structurante de l’adulte, cette parole qui a su fixer les repères en disant « non c’est assez », qui a su délimiter ce qui est bien, ce qui est mal.
Quand les adolescents n’ont pas eu ces repères, qu’ils ne trouvent pas les limites dans le regard ou la parole des autres, ils se replient alors sur celles de leurs corps. Mais il faut être rassurant et savoir que les jeunes s’autorégulent entre eux. Il y a des conduites qui ne seront pas acceptées ou qui seront réprimandées par le groupe. Les adolescents cherchent aussi les limites dans le regard ou les paroles de leurs amis.
4. Les jeunes en milieu festif : comment agir en tant que parents ?
Il ne faut pas ignorer les conduites à risque ou faire semblant de ne pas les voir. Il faut les signifier, en discuter avec l’adolescent. Et parfois le parent n’est pas toujours le meilleur interlocuteur. L’important pour le parent est de s’assurer qu’il y a une personne significative à qui l’adolescent peut parler ou se confier (autre membre de la famille, autre adulte…). Il ne faut pas lever les limites établies pour autant. Quand le jeune tourne autour de la règle, c’est parfait. Il faut continuer à réaffirmer la règle et le laisser transgresser autour de la règle.
Cela devient évidemment questionnant quand le jeune entre dans des conduites à risques mettant en danger sa vie ou celle des autres. Mais très souvent ces conduites à risques sont liées à deux cas de figures : les adolescents à qui on n’a pas offert de discours structurants sur lesquels s’appuyer pour pouvoir juger de ce qui est bien ou mal, et à l’opposé, les adolescents vivant en permanence avec des discours très contraignants qui les empêchent de trouver les espaces d’expérimentation nécessaires autour d’eux.
Si on a pu assurer une parole structurante quand l’enfant était plus jeune et lui laisser de l’espace pour qu’il puisse se mettre à l’épreuve, l’adolescent ne devrait pas ressentir le besoin d’aller jusqu’aux conduites à risques dangereuses.
Le plus important est que les parents puissent offrir ce discours structurant et cohérent dans le temps. Et ce n’est pas toujours facile, les choses vont vite et, malheureusement, les parents ont parfois du mal à tenir le même discours sans lâcher prise.
5. Que penser de l'usage de l'image (vidéo ou photo) prise en milieu festif et partagée parfois via internet ?
Il faut avant tout s’interroger sur le sens que les jeunes donnent au fait de filmer ou de se prendre en photo au moment de la fête. Dans l’instant, il s’agit pour eux de créer de l’évènement, d’intensifier et partager un moment vécu avec les autres, ou encore de se valoriser en créant de l’intérêt autour de soi. Lorsqu’on détient une photo ou une vidéo de « l’évènement » d’une soirée, on ne court que le risque d’attirer l’attention de ses pairs.
Et là encore, il faut rassurer les parents. Dans les entrevues que j’ai pu mener avec les jeunes, j’ai moi-même été étonné de voir que très peu de vidéos sortent de leurs réseaux. Les vidéos sont majoritairement distribuées au sein de petits groupes, sur des pages internet sécurisées, en vue notamment de contribuer à reconstituer ensemble ou intensifier le moment vécu en groupe. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de risque d’un usage non souhaité de l’image, mais le risque est à pondérer.
Les images que les parents ou adultes voient sont celles qui ont « échappé » à la diffusion initiale voulue par la plupart des jeunes. Et dans ce cas-là, quand on est parent et que l’on tombe sur ces vidéos, il faut avant tout s’enquérir de la véritable histoire, du contexte de la vidéo et du sens voulu au moment où elle a été produite, au risque d’être en totale incompréhension avec son adolescent, qui ne verra pas la même chose que vous. Il y a souvent un décalage entre les intentions de la vidéo au moment où elle a été produite, les intentions au moment où elle a été partagée au sein du réseau et enfin, la signification que quelqu’un d’extérieur à la fête peut lui donner quand il la regarde « à froid ».
J’aimerais aussi rappeler qu’il y a des choses que les parents ne doivent pas voir. Dans leur jeunesse, ils ont eux-mêmes vécu des expériences semblables à celles vécues par leurs adolescents, à la seule différence près que leurs propres parents ne les voyaient pas, internet et les réseaux sociaux n’existant pas.
6. Les jeunes en milieu festif : quels autres conseils pour les parents ?
Les parents d’aujourd’hui sont sur un mode de négociation avec leurs jeunes, qui consiste à ne pas imposer de choses à sens unique. Pour le jeune, c’est un bon mode d’entrée dans la vie que de participer à la construction du cadre. Mais pour autant, les parents ne doivent pas tout donner dans cette négociation, les amenant alors à renoncer à leurs valeurs, leurs principes… Ils doivent s’autoriser à poser leurs propres limites à l’intérieur de la négociation. Il peut y avoir des choses non négociables.
Il faut aussi accepter, en tant que parent, la nécessité de déléguer à d’autres adultes sa responsabilité pendant certains évènements festifs. Je pense par exemple aux festivals où on pourra retrouver la présence des organisateurs, de professionnels de prévention ou des travailleurs sociaux… Si on n’offre pas aux jeunes la possibilité de ces espaces et temps festifs organisés ils se créeront eux-mêmes, sans l’aide d’adultes, des espaces pour leurs expérimentations, style rave party dans un champ à la dernière minute. Et c’est bien entendu dans ces lieux improvisés qu’il y a le plus de risques de débordement.
Le colloque organisé le 16 octobre 2012 par la Mutualité Française Pays de la Loire autour de la prévention des risques en milieux festifs est en ce sens encourageant. Il peut-être rassurant pour les parents de savoir que les différents acteurs des milieux festifs et de la gestion de l’espace public (1) travaillent ensemble pour que la fête se déroule au mieux. Rassurant aussi de savoir que ces mêmes professionnels abordent le sujet avec un regard très positif. Ils ne considèrent pas la fête comme un problème à gérer, mais comme une opportunité pour créer ou recréer du lien entre adultes et jeunes. Un très bon principe que les parents peuvent aussi faire leur.
1 : le colloque rassemblait près de 150 participants ligériens : organisateurs de festivals, gestionnaires de discothèques, de bars, collectivités locales, professionnels ou bénévoles engagés dans les actions de prévention ou de réduction des risques. Il était piloté par la Mutualité Française Pays de la Loire, en partenariat avec Resaad 72, Resaad 49, Alia 49, Revih 49, ANPAA, Fédération d’Addictologie, SIS, Avenir Santé, Trempolino, Bebop-CRIM, Le Pôle, Ville d’Angers, Chabada et soutenu par l’ARS Pays de la Loire.
A propos de Jocelyn Lachance
Québécois d’origine, Jocelyn Lachance est chercheur postdoctoral en socio-anthropologie à l’Université de Pau (Laboratoire « Société, environnement et territoire »). Il est par ailleurs membre de l’Observatoire Jeunes et Sociétés de Montréal.
Ses travaux portent sur le rapport des jeunes aux temps, aux technologies récentes de l’image et de la communication ainsi que sur les conduites à risque, notamment en milieu festif.
Depuis 2006, il consacre une partie de son activité à la formation continue tout en poursuivant en parallèle ses recherches. Il est aussi l’animateur du site internet www.anthropoado.com, portail des socio-anthropologues de l’adolescence et de la jeunesse.
Il est notamment l’auteur de « L’adolescence hypermoderne – Le nouveau rapport au temps » (PUL, 2011) et de « Socio-anthropologie de l’adolescence – Lecture de David Le Breton (PUL, 2012). Retrouvez ces ouvrages, en cliquant ici.